Élucidation et orientation des affaires pénales (2015)

Comment se combinent, pour les différents contentieux, l’élucidation des affaires par la police et leur orientation par le parquet? Nous cherchons à produire une typologie du traitement pénal des affaires selon leur type (natinf). Plusieurs travaux ont tenté de dégager une typologie des juridictions à partir des statistiques locales, mais leurs résultats sont assez triviaux : leur profil de traitement des affaires dépend principalement du nombre et du type d’affaires reçues. Notre objectif est de parvenir à une typologie dynamique des types d’affaires, de leur transmission par les services de sécurité à leur traitement dans la chaîne pénale.

A cette fin, nous procédons à l’analyse seconde des données pénales contemporaines, collectées par le logiciel Cassiopée et diffusées trimestriellement par le Ministère de la Justice (SDSE) http://www.justice.gouv.fr/statistiques.html#tableaux-detailles. Afin d’éviter tant les premières années de mise en œuvre de Cassiopée que les modifications intervenues à partir de 2017 [1], nous avons sélectionné l’exploitation de l’année 2015 en tenant compte des données publiées après correction en avril 2018.

Nous avons calculé trois indicateurs [2] :

– un taux d’élucidation des affaires transmises aux parquets par les services de police et de gendarmerie en calculant le rapport entre nombre d’affaires avec auteur et nombre total d’affaires reçues au cours d’une année [3].

– un taux de recours aux procédures de troisième voie qui correspond à la somme du nombre des auteurs concernés par les procédures de compositions pénales et des procédures alternatives aux poursuites rapporté au nombre total des auteurs des affaires reçues.

– un taux de poursuite qui correspond au nombre d’auteurs des affaires transmises aux juge d’instruction, juge pour enfant, tribunal correctionnel et tribunal de police, rapporté au nombre total des auteurs des affaires reçues.

En combinant ces trois taux, nous avons dressé une typologie des contentieux en cinq groupes. Cette typologie repose sur les 235 types d’affaires pour lesquels les effectifs sont suffisants pour que permettre d’élaborer une typologie.

Figure 1 : Distribution des groupes de la typologie selon la part du total des affaires

Le premier groupe comporte 23 types d’affaires (9,7 % du total), qui représentent 366 158 affaires au total **(12,3%)**. Il est caractérisé par un très fort taux d’élucidation (plus de 80 % de ces affaires sont transmises au parquet avec au moins un auteur identifié). Ces affaires sont aussi fortement poursuivies, avec un taux allant de 45 à 85 %. Le taux de recours à la troisième voie y est très faible, il varie de 0,5 % à 32 %. Parmi ces infractions, on trouve les atteintes aux personnes parmi les plus fortement sanctionnées [homicide volontaire, violences ayant entraîné une incapacité de travail (ITT) de plus de 8 jours, proxénétisme, violence envers une personne dépositaire de l’autorité publique. Une seule atteinte aux biens y figure, le recel aggravé. On dénombre également des atteintes à l’autorité de l’Etat [terrorisme, évasion et aide l’évasion, outrage à agent, abus d’autorité]. On note également la présence dans cette classe d’infractions routières comme la conduite sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants, le refus d’obtempérer, le défaut de permis de conduire, les excès de vitesse et les accidents sous l’emprise de l’alcool ou stupéfiant. Figurent également dans ce groupe les infractions relatives au transport, à la vente et au trafic de stupéfiants.

Figure 2 : Taux d’élucidation dans les différents groupes de la typologie

Le deuxième groupe comporte 35 types d’affaires (14,9 % du total) qui représentent 1 387 724 dossiers **(46,7 % des affaires)**. Il est caractérisé par les plus faibles taux d’élucidation, variant de 12 % à 76 %. Les taux de poursuite sont également plus faibles que dans le premier groupe, mais plus élevés que dans les trois groupes restants. Le recours à la troisième voie y est faible, s’étalant de 3 % à 45 % selon le type d’infraction. Dans ce deuxième groupe, on note la présence d’accidents graves (accident mortel de la circulation, du travail, accident de chasse), les enlèvements, séquestrations et prise d’otage ainsi que des infractions sexuelles comme les agressions sexuelles sur majeur et les exhibitions sexuelles. En matière d’atteinte aux biens, cette classe regroupe les vols avec violence (vol à l’arraché, vol en bande organisée, vol avec effraction, vol avec dégradation, vol aggravé) et les vols simples. On y trouve également les escroqueries et extorsions, les atteintes aux systèmes informatiques et les usurpations d’identité. Dans les autres types d’infractions, on note la présence des apologies de crime ou de délit et des falsifications des moyens de paiement.

Figure 3 : Taux de procédures de troisième voie dans les différents groupes de la typologie

Le troisième groupe comporte 42 types d’affaires (17,8 % des types) et 268 337 affaires **(9% des dossiers)**. Les taux d’élucidation y sont élevés (60 à 99%), mais les poursuites et le recours à la troisième voie y sont faibles (respectivement de 2 à 34 % et de 2 à 27 %). La modalité dominante pour ces affaires est donc l’abandon (de 49 à 86%). On y trouve des atteintes aux personnes [viol sur majeur, agression sexuelle sur mineur, atteinte sexuelle, harcèlement sexuel mais aussi mise en danger de la vie d’autrui ou encore les discriminations, menaces, diffamations et injures (publiques et non publiques), dénonciations calomnieuses]. Les atteintes aux biens qui entrent dans ce groupe sont les abus de faiblesse et les abus de confiance. Y figurent également les faux en écriture, faux témoignages, usurpation aux examens mais aussi les tapages et nuisances sonores.

Figure 4 : Taux de poursuite dans les différents groupes de la typologie

Le quatrième groupe comporte 103 types d’affaires (43 % des types) et 871 199 dossiers soit **29,3% des affaires**. Comme le troisième groupe, Il est caractérisé par un fort taux d’élucidation (de 45 % à 100%) et un faible taux de poursuite, (de 3 à 48%) mais s’en distingue par un plus faible taux d’abandon et un recours accru aux procédures de troisième voie (18 à 55%). Cette classe comporte les violences avec ITT de moins de huit jours, les violences par conjoint, les blessures involontaires, les atteintes familiales (mauvais traitements, abandon d’enfant, abandon de famille, contentieux sur l’exercice de l’autorité parentale). Parmi les atteintes aux biens, on note la présence des recels et des infractions à la propriété intellectuelle (fraude industrielle, captation irrégulière de programmes …). Cette catégorie regroupe également les infractions relatives à la fabrication, vente, détention et port d’armes. Elle comporte également des infractions économiques et financières [fraude, tromperie, contrefaçon, banqueroute, émission de chèque malgré interdiction]. Sont également présentes les infractions relatives à la détention et l’usage de stupéfiants, les infractions et fraudes à l’aide sociale et les infractions routières (équipements de sécurité, feux de signalisation, émissions polluantes).

Le cinquième groupe enfin, comporte 32 types d’affaires (13,6 % des types) et 80 069 dossiers **(2,7% du total)**. Comme les groupes 3 et 4, il regroupe des affaires très fortement élucidées (de 65 à 100%), mais peu poursuivies (de 1 à 29%) . En revanche, le taux de recours aux procédures de troisième voie y est très important (de 47 à 81%). Cette classe ne comporte qu’une infraction d’atteinte aux personnes (le racolage) et une infraction d’atteinte aux biens (autre vol criminels). Y figure une infraction d’atteinte à l’autorité de l’État, l’acquisition, port, détention et transport d’explosifs. On y trouve de nombreux délits relatifs à l’immigration [infraction sur l’entrée et le séjour d’un étranger, interdiction du territoire, reconduite à la frontière, infractions à la police des étrangers]. Certains délits économiques et financiers sont présents comme l’achat et la vente sans facture, l’exercice illégal d’une profession, infraction à la législation sur les débits de boisson. Enfin, certaines atteintes à la santé et à l’environnement y figurent : pollution des sols, produits chimiques et dangereux, déchets, espèces et habitats protégés, infractions relatives à la pèche.

Figure 5 : Dendrogramme de la typologie

Ces cinq groupes représentent donc des masses de contentieux très inégales mais se distinguent nettement par leur nature. On peut, parmi ces cinq groupes, identifier trois classes fondamentales et deux classes dérivées.

La première classe fondamentale (12%) est représentée par le groupe 1, celui des affaires à la fois fortement élucidées et fortement poursuivies. S’y retrouvent les priorités de la répression, les atteintes à la personne les plus caractérisées et les infractions sans victime directe les plus ciblées que ce soit en matière de circulation routière ou de commerce de produits prohibés.

La deuxième est représentée par le groupe 2, comportant des affaires faiblement élucidées mais fortement poursuivies. Il s’agit typiquement d’atteintes aux biens. A elle seule, cette classe réunit la moitié (47%) de la matière première reçue par les parquets. C’est l’absence d’élucidation policière qui la définit.

Enfin la troisième classe fondamentale (40%) agglomère les groupes 3 à 5, dont les affaires sont à la fois fortement élucidées et peu poursuivies. Dans cette troisième classe fondamentale, on peut effectuer une partition plus fine en trois groupes mineurs, qui se distinguent principalement par l’intensité du recours aux procédures de troisième voie. Le premier fragment, où le taux d’abandon est maximal comporte les discriminations, injures et diffamations, des atteintes sexuelles et des fraudes, donc des infractions à victime directe souvent moins faciles à caractériser et à poursuivre. Le second fragment est caractérisé par les violences intrafamiliales notamment envers les enfants, et surtout par les infractions à la détention de stupéfiants. Le troisième fragment est marqué par les infractions relatives au séjour des étrangers. Dans ces deux derniers cas, il s’agit majoritairement d’infractions sans victime directe. Le deuxième fragment – essentiellement l’usage de produits prohibés – représente à lui seul les trois quarts de cette dernière classe fondamentale, le premier presque tout le dernier quart et la troisième presque rien.

Figure 6 : Profils sur deux axes des groupes de la typologie

Au total, nous voyons s’esquisser une structure tripolaire

  1. L’ensemble restreint des priorités de la répression (violences caractérisées, cibles essentielles de politiques publiques en matière de circulation et de prohibition);
  2. l’imposant massif des atteintes aux biens caractérisé par une faible élucidation policière;
  3. enfin celui un peu moins important des affaires à faible priorité répressive, orientées surtout vers des solutions de troisième voie, qu’il s’agisse d’agressions moins caractérisées, d’usage de produits prohibés ou d’immigration irrégulière.

Nous souhaitons développer prochainement cette première approche d’une typologie statique reposant sur les données de 2015 en y ajoutant une typologie dynamique caractérisant l’évolution dans le temps du traitement policier et judiciaire des différents types de crimes et délits.

 


                 Notes:

    • [1] A partir de janvier 2017, la nature d’une affaire peut changer au cours du processus judiciaire ce qui complexifie grandement sa traçabilité à partir des données agrégées.
    • [2] Si le taux d’élucidation est estimé à partir de données dont l’unité de compte est l’affaire, les deux autres sont calculés à partir de données dont l’unité de compte est l’auteur.
    • [3] En raison du stock d’affaires restant d’une année sur l’autre, ce taux peut être supérieur à 100 % lorsque les effectifs du nombre d’affaires sont faibles.