Objectif
Analyser les statistiques de l’activité des parquets produites par le Ministère de la Justice et reconstituer – puis analyser – les plus longues séries historiques possibles de ces données à partir des archives aux formats papier et numérique.
Une typologie des types d’infraction selon les taux d’élucidation et les orientations
La Justice pénale française fournit l’occasion – rare – d’une observation chiffrée sur le très long terme. Un tel matériel permet d’analyser à une échelle souvent indisponible les mutations du pénal et, à travers elles, celles de la société entière. On peut ainsi prendre en compte les évolutions de l’institution pénale (mouvements de pénalisation/dépénalisation de certaines pratiques, évolution des formes de la justice, contraventionnalisation de délits…), mais aussi des institutions politiques (développement de la démocratie après les expériences de la Restauration et du Second Empire, basculement dans un régime autoritaire en 1940, mouvements de colonisation puis de décolonisation…).
Par ailleurs, les transformations sociales ont débouché sur l’apparition de nouvelles pratiques labellisées comme délinquantes réprimées par de nouvelles infractions. On peut faire mention du développement croissant des atteintes aux biens après la massification de la consommation au cours de la période des “Trente glorieuses”, du développement des délits routiers à mesure que s’est généralisé l’accès à l’automobile, de l’incrimination de la détention, du trafic et de la consommation de stupéfiants, des infractions relatives au séjour des étrangers ou encore dans la période la plus récente, des atteintes aux systèmes informatiques, aux identités et aux données individuelles… Il devient aussi possible de confronter ces données pénales à d’autres très longues séries cette fois démo sociales comme celles issues des recensements.
Reste à transformer les données brutes pour les rendre utilisables pour l’analyse seconde qui est projetée. De 1825 à 1981, le Compte général de l’administration de la Justice criminelle en France a fourni un tableau détaillé de l’orientation des affaires et de leur traitement. A partir de 1982, il sera remplacé par l’Annuaire Statistique de la Justice jusqu’à l’adoption en 2008 du système informatique Cassiopée. Si la sérialisation des données du Compte général a été préfigurée par les grands récapitulatifs du XIXe siècle – notamment celui de 1880 – puis entreprise par André Davidovitch et Bruno Aubusson de Cavarlay (dont le rapport est disponible en ligne), elle est restée inachevée. La dernière publication en date exploitant ces données est le rapport sur les mécanismes de l’abandon de poursuite rédigée par Marie Sylvie Huré. Et surtout, il reste à surmonter le hiatus entre cette source historique et celles qui lui ont succédé.
Ce travail de sérialisation sur deux siècles – et son analyse – supposent des moyens qui excèdent ceux dont dispose actuellement l’Observatoire scientifique du crime et de la Justice (OSCJ). C’est pourquoi nous élaborons un projet de recherche qui sera soumis aux appels à projets européens ERC Starting Grant 2019. Notre démarche associe les apports de la sociologie, de l’histoire et de la science politique au moyen d’un protocole systématique, empirique et quantitatif. L’exercice que nous projetons peut fournir aux pays de l’Union européenne, à un moment de crise, une méthode pour analyser leur évolution au long de l’époque contemporaine et, par-là, mieux comprendre les défis de l’actualité.
En attendant de disposer des moyens nécessaires à cette entreprise, nous avons entrepris – grâce à une excellente coopération avec le service statistique ministériel de la Justice (SDSE) – d’analyser les données actuelles sur l’activité des juridictions. Ces données contemporaines très détaillées permettent de dresser des typologies fines et d’en saisir les évolutions mais seulement sur le très court terme.
Nous avons d’abord tenté une analyse typologique visant à classer les juridictions à partir de la façon dont elles orientent les affaires. Il est rapidement apparu que cette piste ne permettait pas d’aboutir des distinctions pertinentes : l’activité des tribunaux dépend très fortement du volume d’affaires traitées et du type d’affaire qu’ils reçoivent. Dans une deuxième phase, nous nous sommes attachés à produire une typologie statique, pour l’année 2015, du traitement des différents types d’infractions à l’échelle nationale. Ce renversement de perspective a conduit à utiliser le type d’affaire comme unité d’analyse en lieu et place de la juridiction. On est ainsi parvenu à dresser une typologie en trois classes fondamentales en combinant les taux d’élucidation par la police et les orientations par le parquet (voir page Elucidation et orientation des affaires pénales en 2015).