Observer dans la durée le crime et l’insécurité
Objectif : suivre l’évolution dans le temps de délinquances à victime directe (comme les agressions, vols, cambriolages…) et du sentiment d’insécurité, principalement à partir d’enquêtes de victimation.
Autrefois, on ne disposait que du comptage de l’activité des tribunaux, des prisons ou de la police.
Maintenant, la mesure de la criminalité a diversifié ses sources : statistique sanitaire des causes de décès, estimation monétaire des criminalités, enquêtes en population générale… On ne cherche plus à déterminer la meilleure (ou la moins mauvaise) mesure, mais à disposer de plusieurs sources afin de pouvoir les confronter.
Chaque mesure dénombre la délinquance sous l’angle d’un acteur particulier : les enquêtes de victimation la mesurent selon le point de vue des enquêtés qui s’estiment victimes ; celles de délinquance autoreportée la comptent selon le point de vue de ceux qui se reconnaissent auteurs d’infractions ; les statistiques de police la jaugent sous celui de professionnels du pénal. Tout se passe comme si chacun de ces acteurs procédait à des jugements provisoires : il me semble que… la mésaventure que j’ai subie, le comportement que j’ai eu, l’événement qui m’a été rapporté ou que j’ai découvert… constitue une infraction.
Confronter les données tirées de diverses statistiques et enquêtes revient à comparer le résultat des désignations opérées par différents types d’acteurs.
Une précaution fondamentale consiste à étaler les observations sur des périodes suffisamment longues pour échapper aux apparences des soubresauts de court terme et parvenir à faire émerger des tendances.
- Pour la délinquance à victime directe – les vols ou les agressions, en revanche pas la fraude fiscale, l’immigration irrégulière ou la création de fausse monnaie…- les deux mesures les plus utilisées sont les enquêtes de victimation que l’on compare aux statistiques de police.
L’enquête de victimation consiste à demander aux membres d’un échantillon s’ils ont été victimes de tel ou tel comportement au cours d’une période donnée.
En France, la première enquête nationale a été menée à bien par le CESDIP au milieu des années 1980.
À partir de 1996, l’INSEE a introduit dans son Enquête permanente sur les conditions de vie des ménages (EPCV), conduite annuellement, un petit module de victimation qui a permis d’amorcer une observation des évolutions dans le temps. L’Institut des Hautes Études de la sécurité Intérieure (IHESI) – un organe du ministère de l’Intérieur – a fait modifier l’EPCV pour 1997-98 dans l’espoir de faciliter la comparaison avec les données policières. Son successeur, l’Institut national des hautes études de sécurité (INHES), a ensuite fait apporter de sérieuses modifications aux EPCV portant sur les années 2003-04 et 2004-05.
À partir de l’enquête menée en 2007 sur les années 2005-06, un nouveau dispositif s’est substitué aux EPCV : l’enquête Cadre de vie et sécurité (CVS). Des campagnes annuelles ont été réalisées depuis 2007, avec en moyenne 17 000 enquêtés en France métropolitaine (réduits à quelque 15 à 16 000 depuis l’enquête 2013, pour finalement n’en compter que 8 600 dans la toute dernière campagne). Ainsi, même si elle est assez récente, l’enquête CVS semblait bien établie sur le territoire métropolitain et sa réalisation annuelle était prévue par la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (dite LOPPSI 2) promulguée le 14 mars 2011. Toutefois, l’INSEE a décidé de se désengager à partir de 2022 de la réalisation de cette enquête qui a été remplacée par un dispositif Vécu et ressenti en matière de sécurité – VRS, géré par le ministère de l’Intérieur [Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSM-SI)] largement différent tant par la taille de son échantillon (200 000) que par son questionnaire et son mode de passation.
Les enquêtes nationales constituent donc un corpus peu homogène. Pour en tirer des séries, il faut surmonter plusieurs difficultés (Pour en savoir plus « Comment mettre en série les enquêtes nationales).
En 2001, l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France (aujourd’hui Institut Paris Région) a lancé, avec un financement du Conseil régional et le concours scientifique du CESDIP, une enquête sur la victimation et l’insécurité dans la région francilienne. Cette campagne qui porte sur un gros échantillon d’environ 10 000 répondants a été depuis répétée régulièrement tous les deux ans.
À la fin des années 1980, les premières enquêtes locales ont été menées par le CESDIP à la demande de la Délégation interministérielle à la Ville à Épinay et à Toulouse ; une décennie plus tard une autre a été réalisée à Amiens avec des financements d’un programme interdisciplinaire du CNRS sur la ville et de la Fondation MAIF.
En 2005, le Forum français pour la sécurité urbaine (FFSU) a suscité la réalisation par le CESDIP de cinq autres enquêtes urbaines à Aubervilliers, Aulnay-sous-Bois, Gonesse, Lyon et Saint-Denis. Avec un financement de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), l’Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux (ORDCS a réalisé trois enquêtes dans des communes provençales de différentes tailles et sur deux campus universitaires.
L’utilisation des enquêtes de victimation suppose des choix méthodologiques.
Ces enquêtes ne se bornent pas à mesurer les victimations. Elles renseignent aussi sur le sentiment d’insécurité des enquêtés, sur leur appréciation du voisinage et sur les dispositions prises éventuellement par ceux qui s’estiment victimes pour faire appel aux services de police et de gendarmerie, aux compagnies ou mutuelles d’assurance, voire à d’autres prestataires comme par exemple les fournisseurs d’équipements de protection contre l’intrusion…