Observer dans la durée le sentiment d’insécurité
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Avant tout, il faut rappeler que le sentiment d’insécurité n’est pas une dimension simple que pourrait traduire un indicateur unique. On peut se le figurer comme un continuum. L’une des extrémités est très liée à l’exposition concrète (de soi ou des siens) à la délinquance. Elle constitue une sorte de réaction – on parle toujours de peur, mais il peut s’agir de colère, voire tout simplement de vigilance – à cette exposition. L’autre extrémité de l’insécurité est moins liée à l’expérience ou à l’exposition au risque délinquant. Moins expérientielle, elle est plus expressive : ces crispations sécuritaires sont une manière d’exprimer une préoccupation qui se cristallise sur la criminalité mais qui la dépasse largement[1].
Les nombreuses publications françaises sur l’insécurité s’appuient rarement sur des données et appartiennent plutôt au genre des essais. Il existe pourtant des données ; si elles pâtissent souvent de l’instabilité des questions posées dans les enquêtes, au moins présentent-elles l’avantage de tenir compte de la diversité des aspects du sentiment d’insécurité.
I. Les peurs
Cet aspect de l’insécurité varie selon les situations et les circonstances ; on ne peut en parler qu’au pluriel, en multipliant les indicateurs.
1. La peur au domicile
Figure 1 : Évolution des peurs au domicile (%), 1996-2022*
Depuis au moins le début du siècle, la peur au domicile reste toujours à peu près dans le même ordre de grandeur qu’il s’agisse de la France métropolitaine ou de l’Île-de-France (pour lire la suite, cliquer ici).
2. La peur dans son quartier
Figure 2 : Évolution de la peur dans le quartier (%), 1996-2022*
Ceux qui avouent avoir souvent ou quelquefois peur dans leur quartier restent toujours dans un ordre de grandeur modeste. Contrairement à la peur au domicile, celle dans le quartier se situe dans des ordres de grandeur plus élevés en Île-de-France mais également dans la métropole lyonnaise – donc dans des régions très urbanisées – que dans l’ensemble de la France métropolitaine, d’autant qu’il faudrait encore ajouter ceux qui ont déclaré avoir trop peur pour sortir seul le soir (pour lire la suite cliquer ici).
3. La peur dans les transports en commun
Figure 3 : Évolution des peurs dans les transports en commun en Île-de-France (%), 2001-2021
La comparaison de ces scores avec ceux présentés précédemment montre l’importance de l’insécurité dans les transports en commun (pour lire la suite, cliquer ici).
4. La peur pour les enfants
Figure 4 : Évolution des peurs pour les enfants en Île-de-France (%), 2001-2021
Un des résultats majeurs des enquêtes régionales et locales a été la découverte de l’importance des peurs pour les enfants; en tous cas dans des zones très urbanisées (pour lire la suite, cliquer ici).
II. L’insécurité dans le voisinage
Figure 5 : Évolution du sentiment d’insécurité dans le voisinage en France, 1996-2021*
Une petite minorité – entre 10 et 12 – présente l’insécurité ou la délinquance comme le problème majeur de son environnement immédiat. La CVS 2021 marque un point haut inédit. Pour autant, on ne peut pas parler de changement de l’ordre de grandeur observé sur toute la période. (pour lire la suite, cliquer ici).
III. La préoccupation sécuritaire
Figure 6 : Évolution des préoccupations (%) en France* et Île-de-France, 2001-2022
Les CVS demandent aux enquêtés de choisir dans une liste le problème le plus préoccupant dans la société française. Sur la période observée, la domination du chômage est écrasante ; quant à la délinquance, elle vient derrière la pauvreté. Toutefois, depuis 2015, la montée fulgurante de l’inquiétude suscitée par le terrorisme a entraîné un repli relatif des autres sujets de préoccupation. Cette évolution est due à la forme de la question qui oblige à choisir le problème le plus préoccupant (pour lire la suite, cliquer ici).
Les enquêtes franciliennes indiquent une forte liaison de la préoccupation sécuritaire avec l’autopositionnement politique (figure 7) ; dans toutes les campagnes de 2001 à 2021, la proportion de ceux qui mettent la délinquance au premier rang est plus forte que la moyenne régionale chez les enquêtés qui se classent à droite et beaucoup plus forte chez ceux qui se situent à l’extrême-droite.
Figure 7 : Préoccupation sécuritaire et autopositionnement politique – Île-de-France – 2001-2021
IV. Les profils des insécures
Pour caractériser le profil des insécures, nous allons travailler sur l’empilement des enquêtes[2] Cadre de vie et sécurité (CVS) de l’INSEE. Nous chercherons en quoi leurs caractéristiques se singularisent par rapport à celles de l’ensemble de l’échantillon, en nous attachant successivement aux différentes facettes qui viennent d’être analysées, du moins à celles qui reposent sur des données tirées des enquêtes CVS.
- L’insécurité personnelle au domicile : des femmes, des personnes âgées, des personnes vulnérables
- L’insécurité personnelle dans son quartier : des jeunes, de faible statut, dans l’agglomération parisienne
- L’insécurité dans le voisinage : des urbains, notamment en agglomération parisienne, en grands ensembles
- La préoccupation sécuritaire une position idéologique plutôt qu’une inscription sociodémographique nette.
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Conclusion
Né au sein du débat politico-médiatique, le sentiment d’insécurité n’est pas une dimension simple que pourrait traduire un indicateur unique. Il recouvre, d’une part, une réaction – on parle toujours de peur, mais il peut s’agir de colère, voire tout simplement de vigilance – à l’exposition concrète de soi (ou des siens) à la délinquance. Cette insécurité personnelle dépend donc de l’importance du risque auquel on se trouve exposé, mais combiné à la vulnérabilité que l’on éprouve. Il est cependant un autre aspect du sentiment d’insécurité moins lié à l’expérience ou à l’exposition au risque délinquant : plus expressives, ces crispations sécuritaires manifestent une préoccupation qui se cristallise sur la criminalité mais qui la dépasse largement.
En ce qui concerne le volet de l’insécurité personnelle, c’est l’inquiétude pour ses enfants qui est la plus répandue du moins parmi ceux qui cohabitent avec des descendants. Viennent ensuite les peurs des Franciliens dans les transports en commun. La peur dans le quartier est beaucoup moins répandue, celle au domicile est encore plus rare. En tous cas, ces différentes modalités de l’insécurité personnelle n’ont pas changé d’ordres de grandeur depuis le début du siècle.
Au contraire, la préoccupation sécuritaire est beaucoup plus sujette à des soubresauts liés aux grandes controverses dans l’espace médiatico-politique. À ces périodes brûlantes, tout se passe comme si les enquêtés qui la mettent au-dessus de tous les problèmes de société étaient provisoirement rejoints par ceux qui sont sensibles aux questions de sécurité, mais avec une moindre obsession. Au début du siècle, le nombre de ceux qui faisaient de l’insécurité une priorité politique se trouvait au plus haut. Il a subi ensuite une érosion qui traduisait son repli sur un ordre de grandeur plus habituel.
Les différents aspects de l’insécurité personnelle correspondent à des profils de population assez différents les uns des autres, mais toujours situés dans des strates sociales peu favorisées. Quant à ceux qui mettent l’insécurité au premier plan des problèmes de société, ils sont surtout caractérisés par leurs options idéologiques.
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Référence
Robert Ph., Zauberman R., 2017, Du sentiment d’insécurité à l’État sécuritaire, Lormont, Éditions du Bord de l’eau.
Notes
[1] Robert, Zauberman, 2017.
[2] Ces enquêtes se sont déroulées au début de chaque année de 2007 à 2021